La Haute Provence Alpine
Pour beaucoup, il y a "la Provence", synonyme de soleil, de garrigue, de thym, de lavande et de cigales, et "les Alpes", synomymes de sommets, de neige, de chamois, de forêts et d'édelweiss.. Mais trop peu connaissent la région qui fait la transition entre ces deux milieux: la Haute Provence Alpine, trait d'union entre les Baronnies et le Mercantour, entre le plateau de Valensole et la Barre des Ecrins, entre la Durance et le Haut Verdon. C'est la région où les Alpes s'affirment, aussi bien d'ouest en est que du sud au nord.
Sur l'autoroute qui remonte d'Aix vers Sisteron, un panneau indique benoîtement: "vous êtes en Haute Provence". On arrive effectivement sur Manosque. Si l'on est déjà en Haute Provence, alors, on pourrait croire que l'on approche de la frontière nord de cette région. Ce serait une grave erreur; la Provence monte en réalité jusqu'au col de Larche, dans des vallées dominées par des sommets voisinant les 3000 mètres d'altitude. Tout cela n'a plus grand chose à voir avec la garrigue de Pagnol, et pourtant, le panneau indicateur "Barcilouna en Prouvença" nous rappelle que Barcelonnette appartient à la même région qu'"Ais de Prouvènço".
Si le paysage n'a plus grand chose à voir avec celui de la Basse Provence, il n'est pas pour autant identique à celui des Alpes dauphinoises ou savoyardes. Le climat, l'ensoleillement sont beaucoup plus cléments que dans les Alpes du Nord. Les Alpes de Haute Provence sont à la fois provençales et alpines, à la fois domaine de la lavande et de l'édelweiss; à certains endroits (par exemple, la crète de Géruen), ces deux plantes cohabitent à quelques mètres l'une de l'autre...
Le département des Alpes de Haute Provence est un des plus vastes de France; c'est aussi
un des moins peuplés. A l'écart des grandes voies de communication, très peu développé
industriellement, le relief irrégulier n'offrant pas un domaine agricole facilement
exploitable, il est traditionnelement connu comme un des plus pauvres économiquement.
A défaut de pouvoir facilement exploiter des terrains trop irréguliers
et trop pentus, c'est surtout l'élevage qui y est pratiqué, des ovins du côté des
Monges, des bovins et équidés du côté de Seyne.
La richesse géologique est tout à fait exceptionnelle, en particulier aux environs de Digne.
On y trouve en effet la plus grande réserve géologique d'Europe (150 000 hectares).
L'extraction des fossibles y est intégralement interdite; le simple ramassage l'est également
à beaucoup d'endroits. A Digne, on ne manquera pas
d'aller observer une grande dalle verticale
qui regroupe des centaines
d'ammonites, certaines de belle taille (cette dalle a d'ailleurs été moulée et reconstituée
telle quelle au Japon). En pousuivant sur la route de Barles, on traverse les jolies clues
de Barles, le long desquelles de nombreux panneaux signalent les emplacements de
traces fossiles. Les amateurs de paléontologie pourront même aller pédestrement observer
un squelette d'ichtyosaure, conservé sous une verrière en pleine nature
(attention, l'accès à l'ichtyosaure est un peu fastidieux et très torride sous le
soleil d'été).
Au sud de Digne, le village des Mées (l'usage local veut que l'on prononce le "s"
final) comporte d'étonnants rochers dressés verticalement, les "pénitents des
Mées". Selon la légende, sept
belles mauresques ont été fait prisonnières après une victoire sur les Sarrasins.
Furieux de voir les moines se distraire de leur apostolat pour ces belles femmes,
St Donnat, ermite de Lure, les aurait pétrifiés sous forme de ces rochers géants.
Une formation rocheuse remarquable, que l'on trouve très peu en dehors
des Alpes du sud, est la "demoiselle coiffée"
ou "cheminée de fée". Il s'agit d'une colonne rocheuse verticale, surmontée d'un
"chapeau" constitué d'une large pierre. Ce type de cheminée se rencontre dans des
pentes où l'érosion est forte, le chapeau protégeant toute la colonne du travail des
eaux. On trouve des beaux ensembles de demoiselles coiffées près du lac de
Serre Ponçon, notamment à Pontis et Théus. Toujours près du lac de Serre Ponçon, juste
au dessus de la retenue d'eau (au "belvédère"), une boutique présente une belle
collection de minéraux, météorites et fossiles (les plus belles pièces n'étant
pas à vendre).
Les Alpes de Hautes Provence sont aujourd'hui très largement boisées. On a peine à imaginer
qu'il y a encore un siècle, elles étaient au contraire extrèmement dénudées !
Pour se faire une idée du travail de
titan qui a été entrepris, on pourra se rendre sur deux sites
particuliers: au col de Fontbelle (entre Digne et Sisteron, plus précisément,
entre Thoard et Authon), et dans le vallon du Rioux Bourdoux
(à l'entrée de Barcelonnette, D609 en direction de La Frâche).
A Fontbelle, un sentier de découverte
agrémenté de panneaux explique la Restauration des Terrains de Montagnes; un autre
sentier permet de découvrir l'exploitation et la gestion forestière.
Le riou Bourdoux ("torrent boueux") était lui une des fameuses rivières dévastatrices,
certainement la pire de la région, et peut-être même de la France entière.
Il a fallu 1264 barrages de pierres sèches (!) et
40 seuils de rupture de pente pour ralentir le courant. Ne manquez pas de
de visiter le site (on peut le faire en voiture), et de consulter quelques
panneaux explicatifs (un parcours pédestre permet les consulter en intégralité).
Un des principaux artisans du reboisement a été l'ingénieur Prosper Demontzey; une stèle
commémore son entreprise, dans un très joli sous-bois situé au col du Labouret (entre Digne
et Seyne).
La végétation des Alpes de haute Provence est riche en fleurs de
toutes sortes, aussi bien méditerranéennes que montagnardes. Rappelons l'importance
de ne pas les cueillir; comme dit le célèbre adage, "cueillez des fleurs, il
poussera des pierres". Certaines essences sont d'ailleurs protégées, comme le
lys martagon. On notera une bonne présence des chardons des Alpes, et des surtout,
des épilobes (généralement de couleur mauve; les épilobes blanches sont beaucoup
plus rares).
La faune est beaucoup plus décevante: il ne faut pas s'attendre à observer
chamois et bouquetins aussi facilement que dans les parcs du Mercantour ou des
Ecrins !
Notons que les Alpes de Haute Provence sont réputées pour la diversité de leurs
espèces de papillons.
Le nord du département est marqué par l'Ubaye, qui rejoint la Durance
pour former le barrage de Serre Ponçon. Née au Montgenèvre, descendant le
Briançonnais puis l'Embrunais, canalisée après Serre Ponçon, la Durance marque la limite
ouest de la région et part irriguer les terres de la Basse Provence.
Les principales vallées de Haute Provence Alpine sont celles de la Blanche
(pays de Seyne), de l'Ubaye (Barcelonnette), du Haut Verdon (Allos, Colmars),
du Bès (Le Vernet), de la Bléone (La Javie, Digne), du Vanson (St Geniez, Authon),
du Sasse (Bayons), et du Grand Vallon (pays de la Motte Turriers); ces cours d'eaux
finissent tous par rejoindre la Durance.
La construction du barrage de Serre Ponçon a été un des grands travaux de l'après guerre;
le barrage fait 123m de hauteur et le lac couvre 3000 hectares (dépassant le lac d'Annecy,
c'est un des plus grands d'Europe). Deux villages ont été engloutis par les eaux
(Savines et Ubaye). Le barrage était principalement
destiné à réguler le cours de la Durance, afin d'irriguer les cultures de la Provence;
un second objectif était de produire de l'électricité. Le rôle touristique n'avait pas
du tout été pris en compte. Il est pourtant devenu majeur à l'heure actuelle.
En fait, seule la partie "Ubaye" de Serre Ponçon appartient à la Haute Provence, le
reste appartenant au Gapençais et à l'Embrunais, cad, au Dauphiné.
Cependant, pour ne pas scinder les randonnées autour du lac en deux catégories,
nous les avons regroupées dans cette section. Notons d'ailleurs que la commune de
Pontis est une avancée des Alpes de Haute Provence à l'intérieur
du département des Hautes Alpes. L'explication de cette étrangeté est à
rechercher au XVIIème siècle. A l'époque, Pontis était revendiqué à la fois
par la Provence et le Dauphiné, et devait payer deux fois la taille !
Profitant du passage de Louis XIII à Savines, la population, lasse de cette
pression fiscale, est allée en procession lui demander d'être rattachée
uniquement à la Provence; ce qui fut obtenu.
Dans son roman Les courriers de la mort, l'écrivain à succès Pierre Magnan
commençait ainsi: "Sur la porte du cimetière de Barles, il y a une boîte aux lettres".
Cette phrase attira beaucoup de curieux, désireux de vérifier la présence de
cette mystérieuse boîte aux lettres. En fait, il existait effectivement une boîte
sur la porte du cimetière de Barles; non pas pour les morts, mais pour les vivants
du hameau perché du "Château". Le facteur, ne souhaitant pas s'éreinter à monter
aussi haut, se contentait de laisser le courrier un peu plus bas,
en l'occurrence, au cimetière. Depuis, une adaptation télévisée du roman a
été réalisée, et une nouvelle porte, avec boîte aux lettres, a été mise
en place à l'entrée du cimetière. Elle est restée depuis.
Le village de Montclar produit une eau de source,
largement distribuée en France et à l'étranger.
L'habitat
Le tourisme prend cependant de plus en plus de place dans l'économie régionale,
notamment au nord du département, autour du lac de Serre Ponçon.
Les clues de Barles recèlent des richesses que l'on ne peut apercevoir avec un simple
parcours routier; notamment la lame de Facibelle (roche dressée en forme de voile)
et le Vélodrome (remarquable configuration rocheuse évoquant un circuit pour vélos), mais
plusieurs randonnées permettent les découvrir; notamment les balades au Serre d'Esclangon et
à la chapelle St Jean.
Un musée à Digne est consacré à la géologie.
C'était la conséquence du déboisement réalisé au cours des siècles
par les autochtones, aussi bien pour récupérer du bois de chauffage et de construction
que pour dégager des espaces de pâturage.
On en était ainsi arrivé à une situation extrème de destruction forestière, et
il a fallu
une très importante
campagne de reboisement réalisée dans la deuxième moitié du
XIXème siècle pour parvenir aux paysages actuels.
L'intérêt du reboisement était bien entendu esthétique, mais il était aussi
une nécessité pratique: les vallons totalement lisses ne permettaient plus
l'absorbtion des eaux de pluies, et chaque orage entrainait le gonflement rapide
et dévastateur des torrents de montagnes. Il s'ensuivait des dégâts considérables,
notamment sur les routes, mais aussi les champs, les habitations, et les victimes
étaient nombreuses.
Le travail de reboisement était couplé à un important travail d'aménagement
des cours d'eau, de façon à briser et canaliser les flots et limiter les
dégâts. Le terme utilisé était d'ailleurs "RTM", cad, 'restauration des terrains de
montagnes". Il a été un succès total, et les nombreux aménagements des cours d'eau
sont devenus aujourd'hui totalement inutiles: désormais, la végétation
absorbe suffisamment les eaux de pluies, et les anciens torrents dévastateurs sont
devenus de simples ruisseaux.
Pour parvenir à ce résultat, il a été fait grandement usage du pin noir d'Autriche
(et du mélèze en plus haute altitude).
D'allure voisine du pin sylvestre, le pin noir d'Autriche a la faculté de pousser
très vite, de se contenter d'un sol pauvre (ce qui était devenu le cas à cause
de l'érosion et la disparition de la couche d'humus), et de fixer rapidement
le terrain (apsect très important, notamment dans les robines de marnes noires
qui s'effritent (schistes), très communes dans les préalpes de Digne, et
très sensibles au ravinement). Ces
forêts de reboisement sont assez agréables pour la promenade; davantage
que les forêts naturelles beaucoup plus anarchiques et broussailleuses.
Leur point faible est leur vulnérabilité: il suffit d'une maladie touchant
spécifiquement le pin noir d'Autriche pour décimer des surfaces importantes.
On remarque
d'ailleurs, près d'Authon, la prolifération impressionnante du gui qui ne
rencontre guère de résistance avec cette variété de conifère. Il importe
aujourd'hui aux forestiers d'accroître la biodiversité de la végétation.
La chasse est hélas très pratiquée, ce qui entraîne une grande raréfaction des
espèces sauvages. Seules les marmottes peuvent être facilement remarquées. Les mouflons
sont également assez nombreux, mais ils se méfient beaucoup des humains et ne se laissent
absolument pas approcher.
Le Muséoscoscope du lac, situé au belvédère (au dessus de la retenue), explique
en cinq salles et deux films la construction et le rôle de Serre Ponçon: à
connaître !
Barcelonnette aime cultiver ce lien
avec le Mexique. Il est vrai qu'aujourd'hui, les descendants des Barcelonnettes
installés au Mexique
sont beaucoup plus nombreux que ceux restés dans la valéie. Un phénomène analogue
d'expatriation massive outre-mer a également touché le Champsaur et le Queyras.
La correspondance des deux noms est curieuse. Il existe une explication à ce sujet,
qui ne peut hélas être vérifiée par manque de documents historiques.
Deux villages voisins, Seyne et Beauvillar, devaient gérer
en indivision une partie de leurs terres. Cette cogestion était une source chronique
de conflits. En janvier 1437, les habitants de Beauvillar ont fortement protesté
au sujet des élections consulaires, qui ne leur avaient donné aucun siège. Le comte
de Provence, lassé de ces incessantes querelles, a alors ordonné la destruction de
Beauvillar. Leurs habitants se seraient alors dispersés en Provence, pour y errer
longtemps jusqu'à ce que certains d'entre eux finissent par fonder la Seyne sur mer,
en réminiscence du village de "Seyne".